• Echange

    Echange

    « Bienvenue… bienvenue chers cobayes. Ce soir, vous allez vivre une aventure passionnante. Croyez moi. Et pour huit d'entre vous, cette aventure merveilleuse sera… la dernière ! »

    Que raconte cette voix inhumaine, mécanique ? Nous ne sommes que cinq dans cette pièce. Moi et… quatre filles. Je jette à nouveau un regard aux alentours, et remarque un mouvement devant moi.

    Qu'est-ce donc ? La vitre sans tain se transforme, pour devenir… Un miroir ? Non… c'est étrange. Je suis le seul à être de l'autre côté. Mais pas dans la même position. A mes côtés, dans cet étrange reflet, ce sont quatre autres jeunes hommes. Ensemble, ils nous regardent avec étonnement. Comme les quatre filles et moi. Mais la voix ne nous laisse pas longtemps dans notre tourment.

    « On dirait que vous avez besoin d'explications… Mais d'abord, regardez vous. »

    Saisi d'un mauvais pressentiment, je me retiens d'obéir. Mais pas pour très longtemps. En entendant un cri d’exclamation, et en voyant les mines étonnées de ceux d'en face, je ne peux plus résister à la tentation. Je baisse les yeux vers mon corps, et découvre, avec une émotion à mi-chemin entre la stupéfaction et l'horreur, que je ne suis plus moi.

    Au même instant, toutes mes perceptions changent. Dans mon dos, je sens le chatouillement de longues boucles, mais aussi une impression de compression sur mon torse, et un terrible vide entre mes jambes…

    « Si vous n'avez toujours pas compris, je vais vous éclairer. J'ai interverti vos esprits. Les garçons sont devenus les filles, et inversement. »

    Devant nos airs incrédules, la voix se met à rire. Ça ne peut pas être réel. Aucun des neuf autres adolescents présents ne semble y croire. Il y a même un mec, en face, qui se pince. Mais est-ce vraiment un gars ? Si ce que dit cette voix est vrai, non.

    « Vous avez tous compris ? Bien. Je vais maintenant vous expliquer ce que vous faites ici. Même si ce n'est pas encore votre principale préoccupation. Vous dix êtes les premiers sur qui l'expérience a réussi. Mais je ne peux pas vous laisser en liberté dans la nature. Il faut donc vous éliminer. Heureusement, pour deux d'entre vous, je vais me montrer charitable. »

    Je regarde les réactions de chacun, très inquiet. De mon côté, la plupart agissent comme moi. Sauf un, qui lui, affiche un visage empli de détermination. Je me tourne ensuite vers la fenêtre. Et là, je vois cinq silhouettes, entièrement vêtues de blanc, même sur la tête, qui entrent dans la pièce et s'approchent des cinq "adolescentes", avant de les attraper pour les immobiliser.

    « Pour avoir la vie sauve, et aussi sauver celle de votre partenaire, les cinq qui sont mentalement des hommes, vont devoir se battre. Alors allez y. Montrez moi de quoi vous êtes capables. Montrez moi que vous pouvez vous débarrasser de vos quatre autres concurrents. »

    Je rêve ?! Ils veulent qu'on s’entre-tue ?! Mais ils sont fous ! Je reste figé, n'arrivant pas à concevoir comment ceux qui nous ont utilisés peuvent avoir des idées pareilles. Autour de moi, deux "garçons" semblent être aussi étonnés que moi. Un troisième jette partout autour de lui des regards paniqués. Et le dernier, celui que j'avais déjà remarqué par son air déterminé… Je crie... Trop tard. Il s'est précipité vers la personne la plus proche de lui, et la frappe de toutes ses forces. Quel idiot ! Il rentre dans le jeu de nos geôliers !

    Un cri interrompt mes pensées. De l'autre côté de la vitre, une des "filles" grimace de douleur. Je comprends aussitôt que son corps est celui du gars qui se fait tabasser. Je ne peux pas les laisser continuer, tous les deux, à souffrir. Je me précipite pour séparer les deux adversaires. Je reçois des coups, en donne aussi… Seul, je n'y arriverai pas. C'est impossible. Alors je demande aux deux restants de l'aide.

    L'un des deux, doté de cheveux crépus tressés, se décide après quelques secondes à venir m'aider. Soudain, en plein milieu de la distance qui nous sépare, il s'arrête, pris de tremblements. Dans un éclair de lucidité, je regarde derrière les deux qui se battent, au travers de la vitre, et je comprends. Une des silhouette blanche vient de donner un coup de taser à la personne qu'il tenait. Sûrement la propriétaire de la chevelure tressée.

    A côté d'elle, la "fille" qui criait s'évanouit. Je baisse les yeux vers le combat, qui n'en ait plus vraiment un. Le "gars" déterminé est en train de s'acharner sur un corps, en sang, qui a la tête dans un angle étrange. La nuque est brisée. Le garçon est mort. Je relève la tête vers la fille évanouie. Elle aussi est morte ? Non … elle ouvre les yeux, et regarde étonnée, autour d'elle.

    « Je suis de l'autre côté ! Je suis dans mon co... »

    Elle est coupée par la sang qui jaillit de sa bouche et de sa gorge. Derrière elle, la silhouette blanche a sorti un couteau et, d'un coup sec, l'a égorgée.

    Je n'ai pas le temps de rester ainsi plus longtemps. Avec ces paroles, le meurtrier déterminé s'est rendu compte que le corps qu'il frappait n'était plus qu'un cadavre. Il se redresse, sans laisser transparaître le moindre regret, et vient vers moi. C'est à mon tour, mais je ne peux pas me laisser faire.

    Cette fois, nous nous battons réellement. Sans qu'il y ait une autre personne, que j'essaye de défendre. Il n'y a plus que lui et moi. Les coups viennent des deux côtés. Je suis bien trop pris par le combat pour regarder ce qui se passe autour. Le corps que j'occupe est assez résistant, et me permet de tenir tête à mon opposant sans trop de difficultés. Nos corps s'entrechoquent tant de fois que je ne compte plus.

    Nous sommes tous deux mis en difficultés lorsque d'un coup de poing, il me casse la jambe et se casse le poignet. Je ne sais pas lequel des deux est le plus désavantagé. Je ne peux plus me déplacer, il a perdu son moyen de donner les meilleurs coups. Alors, il s'arrête de me frapper. Comme en signe de reddition, il se recule. Et se fait attraper au cou par celui qui était resté en retrait lors de mon appel à l'aide.

    Tandis que mon assaillant se fait étrangler, je remarque, derrière lui, le corps de la fille aux tresses. Quand il aura fini, nous ne serons plus que quatre survivants. Et bientôt, moi aussi je mourrai. Je ferme les yeux, incapable d'assister au dernier souffle de personnes supplémentaires.

    Je sens comme un éclair me traverser. Je tremble, et rouvre les yeux, surpris par cette soudaine douleur saisissante. On dirait que moi aussi je me suis pris un coup de taser… Ils veulent donc que je me batte. Quels monstres... En face de moi, je croise le regard de mon vrai corps, et je comprends que peut importe qui est la personne qui l'occupe, je ne veux pas qu'elle souffre plus. Alors je me résigne. Je me battrai, et j'éviterai les coups de mon adversaire. Et ceux du taser.

    Pendant ma réflexion, celui au poignet cassé est mort, et son corps aussi. Je fais face à la dernière personne présente de mon côté de la pièce. Elle s'approche lentement de moi, comme pour faire durer mon supplice, avec un regard moqueur vers ma jambe. S'il croit que ça m'empêchera de me battre, il se trompe. Je ne sais pas comment c'est possible, mais je tiens toujours debout, et je resterai ainsi jusqu'au bout.

    Il lance le premier coup. Malgré mon désavantage, j'arrive à le parer de justesse. Je frappe aussitôt dans l'ouverture qu'il a créé. J'ai l'impression que ça l'a plus énervé que fait souffrir. Tant pis. Je recommence, alors que lui aussi engage un coup. En plein dans ma jambe blessée. Je ne l'avais pas vu venir. Et il enchaîne aussitôt avec un coup dans le ventre. Je réplique aussitôt en lui tapant dans le menton. Mais il m'esquive. Si ça continue comme ça, je vais mourir.

    Alors je change de technique. J’enchaîne les coups à toute vitesse, mais sans y mettre trop de force. Si je m'épuise trop vite, ce sera inutile. Mon adversaire, trop occupé à se défendre, en oublie de me frapper. Je tente donc de lui mettre un coup de pied dans les jambes pour qu'il tombe, mais à cause de ma jambe, c'est trop maladroit. Je m'écroule, et il vient sur moi. Le seul point positif, c'est que ce sera plus compliqué pour lui d'esquiver. Mais il a de nouveau le dessus. Comment pourrais-je gagner ?

    Dans un geste désespéré, je lui attrape le menton, et tire de toute mes forces sur sa mâchoire. J'entends un énorme cri, et je sens une boule se former dans mon ventre. Pourtant, je ne le lâche pas. Je tire, et tire, toujours plus fort. Finalement, malgré la défense de mon opposant, je sens l'os se déboîter. Je suis... horrible… un monstre ! Ça expliquerai pourquoi je ne m'arrête pas là, pourquoi je continue à frapper la tête de mon opposant, de toutes mes forces, alors qu'il ne se défend même pas. Je me dégoûte.

    Finalement, j’entends un craquement, je sens mon opposant tomber sur moi, sans aucune force. Alors, je m'arrête enfin et tente de repousser ce corps mou qui m'écrase. Qu'est-ce que j'ai fait ? Je… Je crois que je l'ai tué... C'est... inhumain. Je suis inhumain... Je me déteste... je me hais...

     

    J'ouvre les yeux. Je suis allongé au sol. Doucement, je me redresse. J'étais évanoui ? Comment cela a-t'il pu arrivé ?

    Des images me reviennent en mémoire. La voix mécanique... Le changement de corps... Les batailles... Tout ce sang... Tous ces morts ! Ça ne pouvait pas être réel. C'était un cauchemar.

    Doucement, je regarde mes mains, mes jambes. Non ! Je referme les yeux. Je me pince. Non. Non, non ! Ce n'est pas possible ! Je dois encore rêver ! Il n'y a pas d'autres explications ! Je ne peux pas avoir tué quelqu'un ! Je ne suis pas comme ça ! Je ne suis pas... un meurtrier.

    Derrière moi, une voix masculine se fait entendre. On dirait ma voix... Celle des enregistrements. Je me tourne. C'est mon corps. Mon vrai corps. Je me regarde dans les yeux. C'est étrange. J'ai l'impression d'être face à un miroir. Et pourtant... Je tends la main, et touche mon corps, qui a un léger mouvement de recul. La personne qui l'occupe semble avoir peur.

    « Je ne te ferai pas de mal... »

    Mon corps n'a pas le temps de répondre. La voix inhumaine reprend, d'un ton rieur.

    « Vous avez bien dormi ? De beaux rêves ? Tant mieux. Car finalement tout n'est pas fini. Vous allez vivre votre dernière aventure. Oh, cette fois, les règles seront simples. Vous voyez sur le mur, là bas, il y a un couteau. Vous pouvez le prendre, et tuer l'autre. Si aucun des deux n'agit, vous resterez seuls, dans cette pièce, et lentement, vous dépérirez de faim. Ça vous va ? Je suis bête, vous n'avez pas le choix. »

    Le silence revient. Dans le regard de mon corps, en face de moi, se lit la peur et le désespoir. Je ne peux pas tuer la fille qui l'occupe. Je m'en sens incapable. Et pourtant, je sais que celui qui survivra ne s'en remettra jamais. Ce sera une vie de souffrance. Alors, je n'agis pas. Je reste assis, à la regarder, muet et tendu.

    Mon corps finit par se lever, et par aller prendre le couteau. L'occupante revient, et le pose entre nous deux. Tremblante, elle reprend la parole.

    « Je suis désolée... Mais je ne peux pas endurer ce supplice. Je préfère mourir maintenant, que vivre avec les souvenirs de cette histoire. Je m'en veux d'être aussi égoïste, mais je ne peux agir autrement. »

    Je ne sais pas quoi penser de ce choix. Je me prépare mentalement à la voir se tuer, mais, lorsqu'elle prend le couteau, elle ne le dirige pas vers mon corps, mais vers moi. Comment peut-elle se contredire à ce point ? C'est impo...

    J'ouvre de nouveau les yeux. Dans ma main, le couteau. Devant moi, le corps de la jeune fille, égorgée. Et doucement, je comprends ce que la fille avait compris bien avant moi. On a beau avoir échanger nos corps, quand l'un des deux meurt, tout revient à la normal pour le survivant... Si c'était mon corps à qui elle avait tranché la gorge, je n'aurais pas survécu. Je ne serais pas l'unique survivant de cette nuit cauchemardesque.

     

    Voilà mon histoire. J’espère que vous, au moins, vous me croyez. Je ne mentirai jamais sur une telle chose. Et pourtant... Jusqu'à maintenant, le peu de personnes à qui je l'ai dit m'ont cru fou. Ils m'ont envoyé en asile. Comme si le souvenir de cette soirée d'hiver pouvait s'effacer de ma mémoire grâce aux médicaments et soins en tout genre. Si seulement c'était aussi simple.


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